Guinée : retour sur les faits saillants d’une transition politique agitée

Article : Guinée : retour sur les faits saillants d’une transition politique agitée
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14 janvier 2014

Guinée : retour sur les faits saillants d’une transition politique agitée

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Palais du peuple guinéen, siège du Parlement.

Il a fallu cinq ans pour que la transition politique entamée le 23 décembre 2008 arrive à son terme avec l’élection de 114 députés à l’Assemblée nationale le 28 septembre 2013. Du capitaine Dadis au professeur Alpha Condé en passant par le général Sékouba Konaté, cette période transitoire reste marquée par des soubresauts et des balbutiements  attestant que la démocratie se situe encore, dans cette partie de l’Afrique de l’Ouest, à un stade crépusculaire. Pour sauver cette transition, la communauté internationale a dû, à plusieurs reprises, intervenir pour arrondir les angles entre les acteurs politiques. A l’intérieur du pays, la mobilisation a été sans faille : la presse publique et privée, les organisations de défense des droits humains et de la société civile se sont impliquées de façon active pour aboutir à une issue heureuse. Quant au peuple de Guinée, il a fait preuve de maturité en se rendant aux urnes, dans le calme. Et avec l’élection de Kory Kondiano ce 13 janvier 2014 à la tête de la nouvelle législature, une page de l’histoire politique de la Guinée se ferme. Le pays signe son retour définitif à l’ordre constitutionnel ouvrant donc une nouvelle ère et des nouveaux espoirs.

C’est le président de l’Assemblée nationale, Aboubacar Somparé qui, tard dans la nuit du 22 au 23 décembre 2008, annonça la mort du président général Lansana Conté. Après 24 ans de règne sans partage, ce dernier s’en va laissant derrière lui un pays aux infrastructures quasi inexistantes et une population très pauvre. Le lendemain, le 23 décembre, un groupe de militaires s’empare du pouvoir. A sa tête, le capitaine Moussa Dadis Camara, l’homme au tempérament volcanique dont le nom était peu ou pas connu jusque-là. Il est le président du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD). Comme dans tous les coups d’État, les premiers actes des auteurs de ce putsch ont consisté d’abord à la suspension de la Constitution et la dissolution du gouvernement. Dans sa première déclaration, le nouvel homme fort a laissé entendre que le pouvoir et l’argent ne l’intéressent pas. Selon lui, sa mission était de « balayer » et partir.

Par ces propos, l’homme a rapidement bénéficié  d’un soutien quasi total de la classe politique. Cependant, la communauté internationale condamne fermement le putsch et interdit à ses auteurs de fouler le territoire occidental notamment dans l’Union européenne (UE). L’Union africaine (UA) embouche la même trompette. Toute coopération avec Conakry est suspendue jusqu’au retour à un ordre constitutionnel. Les militaires s’engagent à l’organisation des élections législatives et présidentielle  libres et transparentes respectivement en octobre et décembre 2009. Des élections auxquelles aucun membre du gouvernement ni du CNDD, à commencer par le chef de la junte, ne prendra part.

Par ailleurs, le capitaine Moussa Dadis Camara à la quête d’une certaine légitimité en vue d’asseoir et de consolider son pouvoir, s’attaque à la lutte contre la corruption et au narcotrafic. Une action fortement saluée et qui lui a valu une certaine notoriété à travers l’adhésion d’une frange partie de la population à ce projet. C’est justement dans cette perspective que les « Dadis Shows » étaient régulièrement diffusés sur les ondes des médias d’Etat notamment à la télévision nationale. De hauts fonctionnaires de l’Etat sont publiquement auditionnés lors de ces « Dadis Shows » et très souvent humiliés. Les cas du PDG russe de l’usine d’alumine de Fria, Pathienko et Eryc Thiam en sont une parfaite illustration. Les diplomates n’échappent non plus. Lors d’une conférence de presse qu’il a convoquée à la Radiotélévision guinéenne pour  évaluer le chronogramme électoral, le chef de la junte s’en prend à l’ambassadeur de la République fédérale d’Allemagne en Guinée, Karl Printz pour avoir demandé une précision : « Ce n’est pas vous qui m’avez donné le pouvoir. J’ai beaucoup de respect pour vous et de ce que l’Allemagne m’a légué…vous parlez à un président.C’est une provocation, vous voulez créer des problèmes ! », s’exclame-t-il, visiblement en colère.

A moins de six mois des échéances électorales annoncées en fin 2009, certaines déclarations fracassantes du chef de la junte laissaient perplexes et sceptiques bon nombre d’observateurs. De plus en plus, ses ambitions deviennent ambigües. La question d’une éventuelle candidature du capitaine Dadis alimente les débats. Au même moment, on assiste à la naissance un peu partout dans le pays des « Mouvements Dadis doit rester », mais aussi des « Mouvements Dadis doit partir ». Jusque-là, le partenariat entre  le chef de la junte et les forces vives de la nation (partis politiques, syndicats, société civile…) n’est pas rompu. La déclaration fracassante ayant mis le feu aux poudres a été celle tenue le 5 avril à Boulbinet. Dans cette déclaration, il avait menacé d’ôter son treillis et de se présenter comme candidat en tant que citoyen guinéen au même titre que ses opposants. Dès lors, la rupture est consommée. Les partis politiques regroupés au sein du Forum des forces vives de Guinée adoptent une stratégie consistant à faire appel aux manifestations de rue contre le pouvoir. Raison pour laquelle, les leaders politiques : Cellou Dalein Diallo, Sidya Touré, François Louncény Fall, Jean-Marie Doré, Mouctar Diallo, Bah Oury…avaient fait appel à leurs militants le 28 septembre 2009 dans un grand stade du même nom à Conakry. Les autorités interdisent la manifestation, et le capitaine Dadis en personne appelle le président de l’Union des forces républicaines (UFR), Sidya Touré à la veille de ladite manifestation à 1heure du matin pour tenter de le dissuader. Ce que le leader a refusé.

Le 28 septembre, leurs leaders devant, les militants et sympathisants envahissent le grand stade en scandant des chants du genre vive la liberté et en brandissant des pancartes hostiles au pouvoir militaire. Aux environs de 11 heures, la garde présidentielle composée des bérets rouges conduite par le lieutenant Aboubacar Sidiki Diakité alias Toumba fait irruption dans le stade et ouvre le feu sur les manifestants désarmés. Des femmes sont violées et violentées et les leaders tabassés et blessés. Quant au président de l’UFDG, il avait eu 4 de ses côtes cassées. Voulant se rendre à Dakar pour se soigner, les militaires bloquent son passeport à l’aéroport. Il a fallu l’implication du président Abdoulaye Wade qui a envoyé un vol spécial pour l’évacuation de l’opposant. Sur le bilan de ce lundi noir, les chiffres sont contradictoires : la commission nationale d’enquête « indépendante » fait état de  63 morts et de 1 480 blessés alors que les organisations de défense de droits de l’homme parlent elles de plus de 150 morts. Au lendemain de ces événements horribles ayant fait le tour du monde, le capitaine Dadis psychologiquement touché a nié toute responsabilité pénale sur ces massacres tout en incriminant les organisateurs de la marche.

Le 3 décembre 2008 alors qu’il s’était rendu au camp Koundara pour régler un contentieux militaromilitaire, le chef de la junte va recevoir une balle à la tête, tirée par son aide de camp, Toumba Diakité après une altercation survenue entre les deux. Toumba Diakité accuse son patron, le capitaine Dadis de vouloir lui faire porter l’entière responsabilité des massacres du 28 septembre en lui demandant d’aller se présenter devant la commission des enquêteurs de l’ONU. A près ces événements, le chef de la junte est urgemment évacué au Maroc pour des soins médicaux. En mission au Liban, le ministre de la Défense nationale, le général Sékouba Konaté rentre précipitamment à Conakry pour prendre les commandes du pays. Et le 15 janvier 2010, furent signés dans la capitale du Faso, les fameux « accords de Ouaga » entre le président Dadis visiblement affaibli, et le  général Sékouba Konaté. Ces accords feront de ce dernier, le président par intérim. Il sera chargé de la conduite de la transition dans une période de six mois. Dans son discours du 6 janvier, il avait appelé tous les leaders exilés pour des raisons de sécurité à rentrer au pays. Le 19 janvier, Jean-Marie Doré, président de l’Union pour le progrès de la Guinée(UPG) et porte-parole des Forces vives est nommé premier ministre, chef du gouvernement de la transition. Toutefois, M. Doré va préciser que son équipe n’est pas un gouvernement de développement, sa mission essentielle sera l’organisation des élections. Un Conseil national de Transition (CNT) sera mis aussi en place avec pour missions : le toilettage de la Constitution, la rédaction d’un nouveau code électoral et l’adoption des lois ordinaires, faisant donc office d’organe législatif provisoire.

A la fin du mois de mai 2010, une campagne électorale d’un mois a été décrétée. Celle-ci a été émaillée de violences par endroits. Le 27 juin 2010, au total4,2 millions d’électeurs sont convoqués aux urnes pour choisir leur président de la République entre 24 candidats, dont une femme. Une caution de 400 millions de GNF avait été fixée pour chaque candidat. A l’issue des résultats définitifs du premier tour proclamés par la Cour Suprême, aucun candidat n’a obtenu la majorité absolue. Par conséquent, les deux premiers à savoir Mamadou Cellou Dalein Diallo et Alpha Condé ayant recueilli respectivement 43,72 % contre 18 % sont admis pour le second tour devant se tenir en principes 18 jours après la publication des résultats définitifs par la Cour suprême. Mais entre le premier et le second tour, le président de la Commission électorale nationale indépendante (Céni), Ben Sekou Sylla décède à Paris à quelques jours seulement du second tour. Son vice-président Louncény Camara prend la tête de l’institution. Très rapidement, il a été contesté par l’Alliance Cellou Dalein président qui l’accuse d’être partial et proche du candidat du RPG, Alpha Condé. Ce qui plonge la Céni dans une cacophonie totale et le pays dans une impasse. Il a fallu l’implication de la communauté internationale particulièrement l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et le Qai d’Orsay (Bernard Kouchner) pour décrisper la situation. C’est pourquoi, le 19 septembre 2010, l’expert malien des questions électorales, le général Siaka Sangaré est nommé président de la Céni.

C’est donc après 4 longs mois entre le premier et le second tour, mais aussi une campagne électorale sur fond de tensions ethniques entre Peuls et Malinkés que les Guinéens se sont finalement rendus aux urnes pour départager les deux candidats. Les résultats donnent Alpha Condé vainqueur avec 52,52 % contre 48,48% pour le candidat de l’Union des forces démocratiques de Guinée(UFDG). Ce dernier  accepte les résultats et appelle ses militants au calme. Le 21 décembre 2010, Alpha Condé officiellement proclamé vainqueur par le président de la Cour suprême le 2 décembre est investi au palais du peuple en présence de plusieurs chefs d’Etat.

S’agissant des élections législatives, celles-ci devraient avoir lieu six mois près la tenue de la présidentielle. Mais le recrutement sans appel d’offres international de l’opérateur technique sud-africain Waymark et la volonté de la céni d’exclure les Guinéens de l’extérieur à ce scrutin ont créé un débat inutile pendant près d’un an plongeant le pays dans un blocage inédit. Le général Siaka Sangaré parti après l’élection présidentielle, le contesté Louncény Camara reprend la tête de la Céni. Avec la fameuse attaque du domicile privé du chef de l’Etat dans la nuit du 19 juillet, le pays plonge dans une autre crise. En dépit de l’absence de concertation et de confiance entre les acteurs de la transition, la Céni de Louncény se permet  d’élaborer des chronogrammes fantaisistes et non tenables. De ce fait, l’opposition renoue aux manifestations de rue pour exiger le départ de Louncény Camara et de Waymark.Ces manifestations sont très souvent soldées par des pertes en vies humaines, des dégâts matériels importants ainsi que des scènes de pillages dans certains quartiers de la capitale. Le mercredi  5 septembre 2012, Louncény jette l’éponge. Au sortir d’une audience que le président Alpha Condé lui a accordée, celui qui disait que le mot démission n’existait pas dans son vocabulaire démissionne : un petit pas semble franchi.  Le jeudi 1er novembre 2012, Louncény est remplacé par Bakary Fofana issu de la société civile. Comme son prédécesseur, il est accusé d’avoir des accointances avec le pouvoir d’Alpha Condé.

Face à l’indifférence du pouvoir vis-à-vis des manifestations de rue récurrentes, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies en Afrique de l’Ouest, M. Saïd Djinnit arrive à Conakry le 15 mai 2013 pour relancer le dialogue interguinéen. Au terme de ces pourparlers, un accord politique a été signé le 3 juillet 2013 par les représentants de la mouvance présidentielle et de l’opposition. Il met fin aux violences et ouvre la voie au scrutin. Les législatives se déroulent finalement le 28 septembre 2013, date à laquelle, les Guinéens ont, après plusieurs reports élu leurs députés. Les résultats définitifs donnèrent au RPG-Arc-en-ciel et ses alliés, une majorité simple au Parlement. Quant au principal parti de l’opposition, il a eu 37 députés élus. L’autre fait marquant de ces élections aura été la perte par le parti au pouvoir de toutes les circonscriptions électorales de la capitale à l’Uninominal; une première dans l’histoire du pays. Les dernières législatives dans ce pays remontent en juin 2002.

Convoqué par décret présidentiel, la première session parlementaire inaugurale tenue ce lundi 13 janvier est censée mettre un terme au cycle de violences que le pays a connu durant cette dernière décennie. Après que ces députés sont installés, l’heure ne doit plus être aux calculs politiques et aux stratégies divisionnistes et va-t-en-guerre, mais plutôt à la réconciliation et au travail. 

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Commentaires

Boukari Ouédraogo
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La question que je me pose ici, c'est si Daddis Camara qui est actuellement à Ouagadougou décidait de revenir en Guinée. A t-il un avenir politique

Mamadou Yaya BALDE
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Un avenir politique pour Dadis en Guinée? Il en a peu ou pas, à mon avis pour l'instant bien vrai qu'il a toujours ses fans au sein des populations et des jeunes officiers surtout.